LES SECRETS DE MAMIE FRISETTE

LES SECRETS DE MADAME FRISETTE

 

 

 

Trop longtemps, j’ai cherché ce salon…

A combien d’entre eux, ai-je tourné les talons?

Savants coups de ciseaux, ardents coups de pinceaux,

Visagiste, confidente, artiste, prolifère et douée est ma coiffeuse…

Elle rêve d’un salon-musée rehaussé d’une galerie d’histoire et de photos

Pour  instruire, renseigner, embellir et faire de vous une femme merveilleuse!

 

 

Vous ne connaissez pas M’am Frisette?

 

Vous ne connaissez sûrement pas M’am Frisette et c’est tout ce qu’il y a de plus normal si vous ne demeurez pas dans le quartier à Simon à Rimouski.

Dans ce quartier-là, il n’y a personne qui ne la connaisse pas ou presque.  A moins d’être une nouvelle-venue et encore, le babil tapageur entourant sa réputation s’étend partout dans le Bas-du-Fleuve. On n’a pas peur de ses ciseaux!

 

Tout un personnage que cette Huguette Frisette, autant par sa personnalité au verbe facile que par son aptitude à écouter, son sens artistique que par son rire contagieux. Récemment, elle m’a confié avoir fait un rêve étrange.  Je me sens privilégiée, elle en a partagé les détails avec moi. Sa nuit a dû être longue, elle n'en finissait plus de parler...

 

Si à l’impossible nul n’est tenu, Huguette Frisette entend bien contredire ce proverbe en mettant de l’avant un projet ambitieux. Je vous transporte donc au pays de son rêve coloré. Ça vaut la peine, croyez-moi!

 

***

 

Elle rêve d'un salon de coiffure ayant pignon sur une rue piétonnaire. Pas n'importe où...au sommet d'une colline d'où les clientes règneraient en maîtres sur le paisible hameau. Déjà là, je me disais qu'elle n'y allait pas avec le dos de la cuillère, mais elle affirmait être allée au bout de ses rêves.

 

Du minuscule escalier en escarpin donnant sur le trottoir, un paysage à couper le souffle s'offre aux clients. En file indienne, les commerces projettent leur ombre sur la rue plongeant presque dans le fleuve. De toute beauté, un spectacle en soi avant même de franchir la boutique. 

 

Encore hypnotisées par les clins d'oeil ondulés du fleuve Saint-Laurent, les clientes ne le savent pas encore, mais elles seront aspirées par l'extravagance de l'intérieur où elles tombent sous le joug de cette fresque historique voire  déstabilisante. On entre au Salon de l’histoire de la chevelure. Un musée de la coiffure en quelque sorte.  Et pas de coût d’entrée!

 

Trois murs sur quatre ont été réinventés ou plutôt rehaussés d’une tapisserie unique au monde.  Décoiffant, une juste expression si on reste dans le vif du sujet en franchissant cette porte de la caverne de M’am Frisette. Un véritable chef d’œuvre d’imagination et de créativité.

 

Huguette disait vouloir miser sur la recherche, le goût, le raffinement, la diversité. Le théâtre des variétés de la sphère  capillaire.  Annonces publicitaires de l’époque, photographies inédites de coiffures, textes journalistiques rivalisent d'originalité. On dirait qu'avec son fil de fée artistique, elle nous a tricoté une véritable courtepointe bigarrée.

 

Métamorphoser le temps d’attente en une cure éducative, instruire dans le plaisir, selon Huguette Frisette, vaut mieux que les bancs froids des écoles. Enrichir la culture personnelle des clientes à leur propre insu, c'est tout un défi qu'elle s'est donné. Bref, vous verrez avec la suite si elle est tombée dans l'excès ou qu'elle est visionnaire comme pas une! 

 

Imaginez la scène. Les fresques murales envahissent la vue au départ. Sur un des murs, un texte qu'elle a retranscrit pique particulièrement la curiosité et nous plonge dans une époque lointaine. Je vous la lis, ça vaut la peine:

 

Protocole de la préparation de la chevelue au temps de Louis XV

Les papillotes

Les fers, le fer à papillotes, le fer à passer et le fer à toupet

La poudre du début

Le tapé

Le toupet

Le coiffage

Le poudrage finale de la chevelure

La pose des ornements

Le bonnet de nuit

Hygiène de la tête et de la chevelure

Hygiène de la perruque

 

Je ne vous imposerai pas le contenu de la cinquantaine de textes, mais à travers les murmures transpercés parfois d'un rire, on entend clairement des:  dire qu'ils utilisaient de la colle, de la poudre, du parfum et même de la pommade. Y pensez-vous? Ils utilisaient de la colle pour faire tenir les cheveux. Ça n'a pas de bon sens. Je comprends d'où viennent alors les célèbres perruques blanches!

 

Une autre ajoute:  puis, pour la femme, changer de coiffure fréquemment indiquait son rang social et sa fortune! Effectivement, dans les films, les femmes de cette époque avaient une tête sans reproche.

 

-Au-delà des apparences, imaginez la torture que devaient endurer les femmes, sans compter le temps qu'elles devaient rester immobiles, lance une certaine dame Perron.

 

Je poursuis le voyage...Un des murs capte aussi l'attention avec le grillage en bois sur lequel se jalousent différents types de postiches, de calottes, de perruques, de queues de cheval, de tresses, de nattes ou de couettes. Il y a aussi cette tête toute en bigoudis qui nous rappellent les années 60.

 

Je me rappelle avoir vu des photos de ma mère en bigoudis! lance Romane.

 

-   Ma fille, ça veut dire que tu ne sais pas qu'avant les bigoudis, les femmes se frisaient avec des bobépines? 

 

-   Des bobépines, ben oui!  J'avais oublié, mais c'est ben vrai. On s'entortillait une couette autour du doigt, ma Romane, puis une ou deux bobépines la fixait au cuir chevelu pour la nuit. Ça frisottait le matin, je vous le garantis, ajoute en riant madame Perreault.

 

Pour plusieurs clientes, le séjour dans le salon de M’amzelle Frisette est beaucoup trop court pour tout voir et tout lire. Comme si notre M'amzelle offrait un bain culturel à chacune. Oups, je devrais aussi inclure le masculin, car elle a prévu un coin pour les messieurs évidemment. Bref,  on apprend sur la coiffure des femmes de l'époque de Cromagnon, de la Renaissance, de la mode 1920 jusqu'à aujourd'hui. Aussi savamment présenté, on ne tarit plus de lire ou d'admirer.

 

J’ignorais que chaque décennie depuis les années 20 a été porteuse d’une mode.  Saviez-vous cela? D’ailleurs, c'est justement dans cette décennie que les femmes ont commencé à s’émanciper en raccourcissant leurs cheveux en même temps que leurs robes ou leurs jupes.  Les années 20 ont donc été porteuses de la cigogne des coupes courtes et au carré. C’est ce qu’on appelle une coupe Bob.  Je ne connaissais pas cette expression! Une façon de dire qu’elles voulaient devenir égales aux hommes, m’informe M’amzelle Huguette.

 

Elle effleure ensuite d’autres thèmes: ces chignons vaporeux ramenés sur le côté de la tête que les femmes adoptaient pour se donner cet air romantique au temps du Charleston –le chignon Charleston.

 

Au milieu du pan d’histoire des années folles, on ne peut manquer le célèbre chapeau Cloche, considéré comme l’accessoire fétiche de la gente féminine de l’époque.

 

Pêle-mêle, se font ensuite concurrence les coupes des années 20 jusqu’à aujourd’hui.  Quel défi! Même deux heures assises sur le piédestal de M’am Frisette ne permettent pas aux clientes de tout saisir.  Impressionnant, vraiment.  Frange rouleau, boucles en cascades, turban, chignon banane, coupe garçonne, chignon choucroute, nœud, coupe afro, coupe mulet, coupe longueuil, coupe au bol, style grunge, choucou, half hawk, carré plongeant, on ne sait plus où donner de la tête. 

 

Ce n'est pas tout. M'amzelle Frisette a tout prévu dans les moindres détails. Dans un coin de sa stupéfiante grotte de souvenirs, on s’arrache tables et chaises pour savourer son thé crêpe-chignon et ses échevelants biscuits décorés notamment d’une houpette de fils sucrés. Accueillir chacune de ses clientes à bras ouverts avec une odeur de café plutôt que celle du fixatif, leur offrir un monde à lire plutôt qu'un magazine torturé par le temps, les conseiller judicieusement tout en prêtant attention aux confidences, voilà son leitmotiv et ça marche. Vous voyez toutes ces dames, enfin, les huits chaises sont remplies! 

 

Mais, avant de se décider à nous crêper le chignon, serez-vous surpris d'apprendre que M’am Huguette enseignait l’histoire.  Incroyable comme histoire?  Jeu de mots oblige. Une historienne qui passe de ses livres et crayons à des ciseaux et son séchoir.  Visagiste, perfectionniste, elle s’est approprié l’art de la séduction qu'elle transpose sur votre port de tête.

 

 D’instinct, elle s’exclamera :

 

cette couleur de cheveux ne met pas suffisamment en relief le vert perçant de votre regard, jeune dame.  Ou encore :

 

une coupe émèchée vous redonnera un air beaucoup plus taquin.

 

 Comme un véritable cygne, M'amzelle Frisette ne demande qu’à signer de son coup de ciseau son nom sur votre chevelure, courte ou longue, frisée ou colorée, tressée ou en chignon.  Un sceau qui circule telle une épidémie à Saint-Simon de Rimouski.

 

Carole, aujourd’hui, n’a pas eu à attendre.  Sur une des trois chaises, en plus de celle surplombée du lavabo, elle demande à M'am Frisette une métamorphose. Madame Carole demande une métamorphose!!! Vous ne connaissez pas Madame Carole si vous ne réagissez pas à prononcer son nom, c'est certain! Tout un personnage sorti tout droit d'un cirque. J'exagère à peine.

 

Notre Madame Sait Tout, soulève le vent de l'ironie partout où elle passe. Puis dégage un parfum aux fragances douteuses.  Elle en sait plus que vous, que moi, que toutes les femmes réunies. En fait, elle possède la vérité et se prend pour le bon Dieu. C'est peu dire. Maintenant que tout le monde la connaît en ville, personne ne la contrarie ou la contredit. C'est la meilleure façon d'écourter la rencontre!

 

Donc, imaginez qu'aujourd'hui, elle demande une métamorphose à Huguette. Je ne voudrais pas être celle qui tient les ciseaux. Le regard qu'échangent les clients ne laisse pas de place aux quiproquos. L'insistance du parfum à laquelle s'ajoute les caprices du personnage se font suffisamment convaincants pour rester éloignées.  Quand on peut!  Pauvre M'am Frisette!

 

Mais c'est son métier, comme elle le dit si bien. D'ailleurs, son éloquent clin d'oeil s'échappant de son regard quasi-meurtrier, fait dévier quelques têtes. On entendrait une mouche voler. Mais la curiosité l'emporte. Les regards convergent vers la chaise au miroir frangé. Toute la galerie des clientes a hâte de voir le résultat! Une métamorphose, comment surmontera-t-elle ce défi?

 

Vous n’avez pas peur que mes ciseaux s’égarent et que je peigne votre caractère sur votre nouveau style? l’interpelle à la blague Huguette avant de poursuivre :

 

Laissez-moi quelques minutes pour bien analyser votre port de tête. Tournez la tête que j'observe votre profil.

 

-Voyons donc, observer mon profil, cela fait cinq ans que je m'asseois sur cette chaise. Vous le connaissez mon profil!

 

Ses mains expertes font fi de sa remarque et se dissimulent dans son épaisse crinière ternie par le temps et le vent du noroît.

 

-Saviez-vous Carole qu'à une certaine époque, on se servait des cheveux pour passer un message?

 

-Évidemment que je connais la réponse. C'est la coiffure d'une femme qui lui donne bonne mine. Y a pas de secret là-dedans.

 

-Je ne veux pas partir d'histoire, madame Carole, mais une femme de 71 ans qui demande une métamorphose, ça peut vouloir signifier que...

 

 -  Que? Que quoi? Allez dites ce que vous pensez!

 

-  Écoutez Carole. Je ne veux pas jouer à la cachette avec vous aujourd'hui. Mais je me doute bien que depuis le temps que vous me confiez votre tête, je n'ai jamais modifié votre style de coiffure.  Pis aujourd'hui, vous me demandez une métamorphose. Y de quoi, avouez!

 

-  Vous voulez que j'avoue quoi, cream-puff!  Je veux juste changer d'allure, chu ben tannée de me regarder dans le miroir avec cette tête-là.  Je pensais même me faire teindre aujourd'hui.

 

- Ben là, ambitionnez pas, coeur de pomme!

 

-  Coeur de pomme? 

 

-  C'est l'expression que je me suis inventée pour éviter de dire de gros mots.  Coeur de pomme, ça fait plus convivial, non?

 

-  Citron, mais avez-vous fini avec votre parlotte?

 

Tout ce que je vous dis là, ce sont presque mots pour mots, leur échange que j'essaie de capter de mon siège, attendant mon tour pour me faire laver la tête. En faisait l'innocente, bien évidemment.  J'écoute pas aux portes, mais quand elle est grand ouverte, disons que c'est tentant.

 

J'attends mon tour...et ça risque d'être long! Je décide de retourner rejoindre les dames regroupées autour des deux tables du fond. Leur propos semblent un peu rigolotes.

 

-  Édith, viens t'asseoir avec nous, me dit Thérèse Sansoucy.  On a le temps de jaser un peu.

 

Je me doute bien pourquoi Thérèse insiste pour que je me joigne à elles.

 

-  C'était plus fort que nous, tantôt.  Tu vas nous trouver commères, mais connaissant madame Carole et le tempérament parfois intempestif de M'am Frisette, on voyait bien qu'il y avait de la taquinerie dans l'air.  Tes mimiques suivaient la cadence...je te jure!

 

De la taquinerie dans l'air!  Pire que ça.  Imaginez-vous donc que madame Carole se marie demain?

 

Quoi?  Ben voyons donc!

 

-  Qui voudrait marier Carole Aumont?

 

-  Je n'ai pas trop compris, mais elle invoquait le nom de monsieur D'Argençon, le propriétaire de la quincaillerie sur la rue du Palais.

 

-  Ah ben là, elle est bonne.  C'est une farce, impossible!

 

-  Pourquoi impossible?  Il est veuf depuis combien d'années déjà?  Au moins dix ans, c'est certain.  Pis elle doit avoir sensiblement le même âge.

 

Non, je ne peux pas croire qu'Émile D'Argençon épouse Carole Aumont. 

 

-  Je voudrais ben être le p'tit oiseau dans leur chambre à couche, en tout cas...

 

-  T'es méchante, Olivette.

 

-  Qu'est-ce qu'il y a de méchant là-dedans?  Après toutes ces années de disette, Oh boy, ça risque d'être la fête!

 

-  Faire la fête à 72 ans, franchement.  Tu veux dire qu'ils vont juste se coller un peu, pis s'endormir en ronflant!

 

- Marie-Ève tu parles complètement à travers ton chapeau!  Tu as quel âge déjà?

 

-  37 ans, Olivette.  Je maintiens ce que je pense.  Je ne peux pas concevoir qu'ils puissent avoir des relations sexuelles satisfaisantes à 72 ans.  

 

Attends d'arriver là, ma fresh-pette!   Moi, j'en ai 67 ans et au risque que vous vous moquiez de moi, avec Antoine, c'est encore ben le fun!

 

-  On est loin de la métamorphose, non?  intervient Édith. C'est une farce!

 

-  Une farce?

 

-  Que madame Carole se marie...  c'est une joke pis vous avez toutes mordu, solide à part cela, enfile Édith tordue de rire et qui s'étouffe sur sa gorgée de café. Elle doit même se lever de table pour aller prendre une bouffée d'air pour retrouver sa convenance.

 

Ces propos plutôt bruyants provoquent chez madame Carole et M'am Frisette un regard corroucé de leur part.

 

-  Qu'êtes-vous en train de manigancer vous autres?  Vous avez l'air à avoir du fun...en pas-pour-rire!

 

-  Pom pom popom, pom pom popom!  chantonne Marie-Ève.

 

Qui se marie, rétorque M'am Frisette décidément frustrée.

 

Sur ces mots, madame Carole se retourne cramoisie...

 

(à suivre)

 

Vous auriez des idées d'aventures dans votre salon de coiffure?

N'hésitez pas à communiquer avec moi, vous pourriez faire partie de l'histoire...

 

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